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RIDM 21 nov. - 01 déc. 2024

Entretien - Anne Koizumi

Entretien avec Anne Koizumi, cinéaste de In the Shadow of the Pines, présenté dans la section Trouver ses communautés, disponible du 12 au 18 novembre

 

Comment en êtes-vous venue à vouloir explorer votre enfance et votre relation avec votre père par le cinéma ?

Pendant mon enfance, j’avais beaucoup de mal à gérer ma honte. Je voulais m’intégrer, je ne voulais pas que les gens pensent que j’étais différente, et surtout je ne voulais pas que mes amis sachent que mon père était le concierge de l’école ! Mais en grandissant, on comprend la complexité de l’expérience de nos parents, et comment leurs choix sont guidés par la nécessité, et non par les sentiments de honte de leurs enfants. Je n’avais pas vraiment exploré mes propres sentiments de honte avant le décès de mon père en 2012. Je désirais ardemment être plus proche de lui, ce que je n’avais jamais réussi à faire de son vivant. Comment pouvais-je lui dire que j’étais désolée, ou que je comprenais à présent tous les sacrifices qu’il avait faits pour nous ? Par ce film, j’essayais de faire un geste, de me rapprocher de lui même après sa mort.

 

Votre film aborde des sujets très intimes et délicats. Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour vous ?

En effet, pendant longtemps j’ai voulu centrer mon travail sur mon propre récit de vie, mais ça me terrifiait de dévoiler les histoires que j’avais essayé de cacher pendant tant d’années. J’ai rencontré beaucoup de difficultés. Tout d’abord, je devais faire face à mon deuil, et ensuite, je devais affronter ma honte et ma culpabilité. J’ai tellement pleuré en faisant ce film… Je fabriquais un décor ou un accessoire et je me mettais soudain à pleurer. Quand on se force à confronter des émotions ou des souvenirs pénibles, on rencontre des difficultés et ça prend du temps. Dans mon cas, ça a pris trois ans. Aujourd’hui, je peux parler du film sans me mettre à pleurer, mais de temps en temps, quand je suis dans un espace où je peux me permettre d’être vulnérable, les larmes me montent encore aux yeux.

 

Pouvez-vous nous parler de votre travail d’animation, de votre processus créatif et de vos réflexions en amont ?

Mon éthique de travail, je la décris souvent comme du « DIY ». J’ai étudié le cinéma, mais dans les écoles où je suis allée il n’y avait pas de programme d’animation. J’ai donc appris par moi-même les bases du cinéma d’animation, grâce à un livre publié par les studios Aardman. C’est important pour moi de créer avec mes mains, de trouver mes propres solutions et d’essayer des choses par moi-même ; c’est plus important qu’un résultat super fluide et pro. J’aime aussi être débrouillarde et réussir à créer quelque chose à partir de ce que j’ai. C’est quelque chose que je tiens d’ailleurs de mon père. Quant à l’animation en elle-même, ça fait 15 ans que je fais des courts métrages d’animation indépendants en stop motion, alors c’était naturel pour moi de choisir ce médium. Le stop motion semblait aussi une évidence parce que j’explorais des souvenirs d’enfance : on associe souvent l’enfance avec la pâte à modeler, les marionnettes, les miniatures et les découpages en papier. 

 

À un moment donné du film, on voit sur un écran de télévision des extraits d’entrevues avec des gens qui ont connu votre père. Quand les avez-vous tournées ? Cela faisait-il partie de votre méthode pour appréhender vos souvenirs ? Cela a-t-il été l’occasion d’en apprendre plus sur votre père et son passé ?

Pour moi, ce projet était documentaire, et je savais que j’allais devoir faire beaucoup de recherche. Les entrevues que vous voyez dans le film ont été la première étape de ma recherche, il y a près de quatre ans. J’ai commencé par m’entretenir avec des membres de ma famille à Calgary, en Alberta, puis je suis allée au Japon pour parler aux frères de mon père, ainsi qu’à des membres éloignés de la famille et à des amis. J’ai visité l’orphelinat où a grandi mon père, qui est encore aujourd’hui un orphelinat situé à Kumamoto. Mon père ne parlait jamais de son enfance ou de sa vie au Japon, alors ces entrevues m’ont permis d’en apprendre plus sur lui et de construire un récit autour de sa vie.

 

Que vous a apporté la réalisation de ce film ? En quoi vous a-t-il aidée à réfléchir à votre histoire et à vos sentiments ?

C’est très étrange de dévoiler au monde une histoire que j’ai essayé de cacher pendant tellement longtemps. Quand je suis née, mes parents m’ont donné un deuxième prénom japonais, Mayuko, qui est légalement mon deuxième prénom. Les caractères qu’ils ont choisis sont 真由子 : le premier signifie « vérité », le second vient du mot « liberté » (自由), et le troisième veut dire « enfant ». Ma mère m’a dit qu’elle avait choisi les caractères à cause de l’expression « la vérité libère ». Faire ce film, ça a été une manière de révéler ma vérité, et ce geste m’a permis de me réapproprier à la fois l’histoire de mon père et la mienne. Et ça va peut-être avoir l’air d’un cliché, mais c’est extrêmement libérateur. 

 

 

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